Du fait de son histoire récente, le Val d'Orge est bien placé pour savoir
que la marge de liberté de choix des collectivités et usagers, en matière
de distribution de l'eau potable, serait très largement obérée si, dans le
même temps, n'est pas remis en cause le monopole que détient la Lyonnaise des eaux sur la fourniture et le transport de l'eau en gros,
jusqu'aux points d'entrée dans les communes.
En effet, il y a 14 ans de cela, en 1998, à une époque où l'emprise des
multinationales sur la distribution de l'eau potable ne souffrait
encore guère de contestations, l'UFC-Que Choisir et le Maire de
Saint-Michel sur Orge, Jean-Lou Englander, saisissaient le conseil national
de la concurrence de l'abus de position dominante de la Lyonnaise. Les
communes ou EPCI se trouvaient en effet largement dissuadés de la tentation
d'un changement de prestataire et, surtout, d'un retour en régie pour la
distribution de l'eau potable, considérant le monopole de la Lyonnaise sur la première étape du cycle de l'eau, celle de son captage et de
sa production.
En gros, pour résumé, le monopole de la Lyonnaise lui permet de
surfacturer le coût de la production de l'eau vendue à une
collectivité ou à un concurrent qui tenterait de lui prendre sa place
pour la distribution de l'eau, en proposant des prix plus bas pour cette
distribution. Dans ces conditions, la surfacturation de l'eau en gros
annihilant largement le gain attendu de la baisse du coût de sa
distribution, le changement perd une bonne part de son intérêt. sans
compter les difficultés techniques et comptables posées par la
pluralité des points d'entrée de l'eau en gros que doivent résoudre les
syndicat ou communautés en ce domaine.
Le conseil de la concurrence, peu pressé de mener ses investigations
dans un domaine aussi sensible, a mis plus de 7 ans à se prononcer (Décision
n° 05-D-58 du 3 novembre 2005 du conseil de la concurrence relative à
des pratiques relevées dans le secteur de l’eau potable en Ile-de-France
)
Son avis est sans appel , ainsi qu'en témoignent les extraits ci-dessous.
"les 30 janvier et 27 février 1998 la commune de St-Michel-sur-Orge et
l'Union fédérale des consommateurs (ci-après UFC) ont saisi le Conseil
de la concurrence de pratiques mises en oeuvre par la société Lyonnaise
des Eaux à l'occasion du renouvellement des contrats de délégation de
service public d'eau potable de la commune de St-Michel-sur-Orge.
le 27 mars 1998 le ministre de l'économie, des finances et de
l'industrie a saisi le Conseil des mêmes pratiques pour quatre autres
communes parmi lesquels Morsang-sur-Orge, Villemoisson-sur-Orge, les
Ulis, Grigny ainsi que pour le Syndicat intercommunal du nord-est de
l'Essonne (ci-après Syndicat NEE) regroupant sept communes.
Tous faisaient valoir que " Lyonnaise des Eaux", qui gèrait alors
depuis plusieurs dizaines d’années le service public de distribution
d’eau potable de 55 communes de l’Essonne avait abusé de la position
dominante qu’elle détient sur le marché de la production d’eau : en
refusant de communiquer son prix de vente de l’eau en gros à ses
concurrents lors des procédures d’attribution des contrats de délégation
de service public d’eau potable mises en oeuvre par lesdites
collectivités ; en ayant proposé des prix en trop forte hausse ou trop
élevés par eux-mêmes."
Le conseil soulignait notamment que :
" le marché de la distribution de l’eau en Ile-de-France présente deux
caractéristiques particulières : en premier lieu, les grands producteurs
d’eau y possèdent des captages, des sources ou des usines largement
surdimensionnés ; tous possèdent des réseaux de transport à gros débit
interconnectés les uns aux autres ; tous possèdent des réseaux de
transport de moyen débit organisés en sous-régions homogènes. Ces
réseaux maillant de moyen débit présentent les caractéristiques de
monopoles naturels locaux, ces monopoles étant inter-connectés à leurs
frontières. En second lieu, les communes ou syndicats de communes, soit
sont de petite taille et, ne possèdent que la partie terminale des
réseaux de distribution les concernant, soit forment des ensembles
intégrés de grande taille confiant la gestion de la totalité de la
chaîne des installations de production et distribution à l’un des deux
grands opérateurs : la CGE pour le Sedif et la Sagep (rive droite de
Paris), la Lyonnaise des Eaux pour la Sagep (rive gauche).
Dans ces conditions, il existe trois champs où la concurrence est possible.
* Le premier est celui de la fourniture et du transport de l’eau en gros, jusqu’aux points d’entrée dans les communes
.
Toutes les conditions techniques d’existence de ce marché sont réunies.
Quant aux possibilités légales d’ouverture des monopoles locaux
constitués par les réseaux de moyen débit, il n’est pas exclu que ces
réseaux constituent des facilités essentielles soumises, par conséquent,
aux règles du droit commun de la concurrence concernant ce type
d’installations. Elles seraient, de ce fait, utilisables par tout
producteur d’eau souhaitant livrer un consommateur desservi par le
monopoleur local. Mais, pour que ce marché potentiel s’ouvre, les
communes doivent manifester leur demande en cessant de s’adresser
exclusivement à l’offreur d’eau en gros détenant le monopole du réseau
de moyen débit qui dessert leur territoire. Il leur suffirait, pour
cela, de dégrouper leurs délégations de service public, lorsqu’elles
sont remises en concurrence, en séparant ce qui concerne le service de
la fourniture de l’eau en gros du service de sa distribution dans la
commune. La société Lyonnaise des Eaux elle-même explique très
clairement cette possibilité en arguant, pour se défendre, qu’elle n’est
pas mise en oeuvre par les collectivités délégantes (voir le paragraphe 71).
* Le deuxième champ concerne le choix, pour les grands producteurs
intégrés, comme la Sagep ou le Sedif, du délégataire du service. La
concurrence ne pourra s’y exercer que lors du renouvellement des
contrats de très long terme en cours.
*Le troisième champ est celui où se placent les pratiques de l’espèce.
Les communes ou petits syndicats de communes remettent en concurrence, à
l’échéance des délégations, le choix du délégataire, ce qui constitue
un flux régulier de mises en concurrence en raison du grand nombre des
communes en cause. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une délégation, la
pratique concernant le Sedif peut être considérée comme entrant dans
cette catégorie, la Semmaris (dont la consommation a l’importance de
celle d’une commune moyenne) ayant remis en concurrence les offreurs
possibles comme le lui permettait son contrat.
L’instruction a permis d’établir que, dans ce troisième champ, la concurrence reste théoriquement possible, à défaut d'être effective.
En effet, le rapport administratif retraçant l’enquête diligentée à
l’occasion des saisines en cause a recensé, sur la période 1998-2000, 50
appels d’offres relatifs au choix du délégataire par des communes, ou
groupement de communes, ou syndicats de communes. Dans 42 de ces 50 exemples, le délégataire sortant a été reconduit pour assurer la distribution communale.
Quant aux huit changements d’opérateurs, trois concernent un retour en
régie et les cinq autres portent sur de petites communes de moins de 5
000 abonnés, propriétaires de leur ressource en eau.
Cette quasi-unanimité montre qu’il est de facto très difficile à une
commune ou à un petit syndicat de communes d’échapper au pouvoir de
monopole que détient son offreur d’eau grâce à sa propriété du réseau de
moyen débit. C’est pourquoi l’ouverture à la concurrence du premier
champ recensé ci-dessus a une importance majeure pour l’établissement
d’une concurrence effective et non plus seulement théorique dans le
troisième champ.
Ces considérations générales vont trouver leur application utile dans l’appréciation de la gravité des pratiques établies.
Le comportement de la Lyonnaise des Eaux à l’égard du syndicat NEE du
département de l’Essonne illustre, de façon concrète et précise, par
quels moyens l’opérateur en monopole de fait sur la fourniture de l’eau a
obtenu, dans ce cas particulier, d’être choisi par le syndicat comme
délégataire du service de distribution de l’eau.
Ce cas particulier
éclaire le résultat général mentionné plus haut : aucun renouvellement
de délégation n’a permis le changement de l’opérateur quand il est en
monopole sur le réseau d’apport de l’eau. Malgré son caractère ponctuel
et limité à un épisode dans le flux nourri des renouvellements de
délégation, la pratique est donc grave.
DÉCISION
Article 1er : Il est établi que la société Lyonnaise des Eaux France a
enfreint les dispositions de l’article L. 420-2 du code de commerce.
Article 2 : Il est établi que le Syndicat des Eaux d’Ile-de-France a
enfreint les dispositions de l’article L. 420-2 du code de commerce.
Article 3 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :
• à la société Lyonnaise des Eaux France une sanction de 400 000 € ;
• au Syndicat des Eaux d’Ile-de-France une sanction de 100 000 €.
Au-delà de ces extraits, la lecture complète des 30 pages qui retracent
les investigations du conseil de la concurrence, mérite le détour, à
l'image d'un véritable thriller: en complément du récit des pratiques
accablantes de la Lyonnaise, le conseil s'est intéressé également au
chantage exercé par le duo infernal SEDIF - VEOLIA ( qui en 1998
s'appelait encore Compagnie Générale des Eaux, CGE) à l'égard de la
SEMMARIS, gestionnaire à l'époque du Marché national de Rungis. la
SEMMARIS ayant osé à l'époque envisager de s'affranchir des tarifs
prohibitifs de SEDIF-VEOLIA en se raccordant à l'Aqueduc de la Vanne
alimentant Paris longeant son périmètre (ça ne vous rappelle pas une histoire castelviroise?)
a eu droit à tous les mesures de représailles, chantage, intimidation,
et pressions connexes sur la ville de Paris pour renoncer à ce
projet. 15 ans après, heureusement les pratiques n'ont guère changé,
mais heureusement le rapport des force a changé, tous les coups ne sont
plus permis.
pour accèder et télécharger le texte intégral de cette décision: http://www.scribd.com/doc/109127621/decision-cons-concurr-condamnant-Lyonnaise
Association pour une gestion publique de l'eau potable de la Communauté Cœur d'Essonne Agglomération et au-delà
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